Courts-métrages du FFCF 2011 – Top 5

Ghost Shots a connu une petite période de calme due à l’implication de ses membres dans la 6ème édition du Festival Franco-Coréen du Film qui s’est achevée mardi dernier. En prolongement, je reviens sur la sélection court-métrage et vous livre mon Top 5 de spectateur. Sachez qu’il est toujours possible de visionner ces courts en ligne sur Mubi, et cela jusqu’au 30 octobre. Allez donc découvrir ceux-là en urgence pendant qu’il en est encore temps !

Mentions honorables :

– Pest de Kim Young-soo, pour sa manière de filmer ces gigantesques appartements de manière inquiétante et futuriste, et parce que son héroïne a trop la classe (cf image ci-dessous).

The Death of a Good Neighbor de Zhang Dong-kook, parce qu’il contient l’une des scènes de sexe les plus hystériques et hilarantes que j’ai vues depuis longtemps !

5ème : Bad Education de Koh Su-kyung

Ce film démarre comme une caricature des Bisounours avec l’arrivée d’un gentil professeur remplaçant dans une petite école de province fleurie. Mais très vite, le film surprend là où on ne l’attend pas : du côté de ces mignonnes petites créatures que sont les enfants. Ces derniers, complètement matures et lucides sur la société, créent un contraste saisissant et plein d’humour noir avec la niaiserie apparente du professeur, renforcée par une réalisation appuyant son surjeu comme tiré d’un manga. Les deux univers s’affrontent pour notre plus grand plaisir jusqu’à une chute tout aussi savoureuse.

4ème : Dart de Cho Sung-bin & Haam Kisoo

Ce qui frappe dans ce court-métrage d’animation, c’est d’abord sa qualité technique. En effet, celle-ci est absolument époustouflante. J’ai lu et entendu des comparaisons avec Pixar : ça n’est effectivement pas usurpé tellement les graphismes n’ont rien à envier aux productions américaines (d’ailleurs, un lampadaire s’allumant dans la rue m’a semblé être un clin d’oeil assez explicite). Mais parler du seul aspect technique serait bien trop réducteur : le film se vit à un rythme effréné entre cascades virevoltantes et humour omniprésent. Les deux personnages deviennent très vite attachants et le film se paye même le luxe d’un happy ending grandiloquent avec une touche d’émotion. Une sacrée carte de visite pour le jeune Eliot Animation Studio !

3ème : Cosmic Man de Lee Han-bit

Cosmic Man abandonne de son côté la narration classique pour se concentrer sur le pur impact émotionnel, les sensations brutes. Magistralement servi par une superbe bande-son post-rock (pour les amateurs, elle est signée ninaian, ex Sokot Band aka 우리는 속옷도 생겼고 여자도 늘었다네) et des effets visuels très réussis, le film met en scène deux évènements (d’abord l’atterrissage d’un vaisseau spatial, puis la rencontre de deux individus) comme deux lentes montées d’adrénaline allant crescendo. La seconde partie possède encore plus d’impact que la première et le film se vit dans une sorte de transe. Pour tout dire, l’ambiance sur la fin m’a rappelé Le Guerrier Silencieux de Nicholas Winding Refn. Et même si l’on peut qualifier ce court d’exercice de style, il n’en reste pas moins une vraie réussite.

2ème : Space Radio de Kim Da-hye

S’il y a un film qui m’a particulièrement touché, c’est bien celui-là. Ce court-métrage d’animation réalisé par une étudiante de la Korea National University of Arts (KNUA) met en scène un petit chien dans un vaisseau spatial. Celui-ci s’ennuie un peu et essaye désespérément de capter quelque chose avec sa radio. Les dessins sont faits « à l’ancienne », en 2D sans trop de détails superflus mais sans pour autant être simplistes. Que ce soit le chien, complètement adorable, si expressif alors qu’il est pourtant dépourvu d’yeux (chez lui l’expression passe plutôt par les oreilles !), ou les petites créatures qui peuplent l’espace et le vaisseau, on est émerveillés par tant de poésie. D’abord, tout ceci se révèle charmant et amusant. Mais lorsqu’enfin quelques notes s’échappent de la radio, lorsque le son se joint enfin à l’image, c’est bel et bien l’émotion qui nous saisit et ne nous lâche plus jusqu’à la fin.

Il est d’ailleurs assez amusant de constater que Space Radio et Cosmic Man possèdent beaucoup de points communs même si le traitement est complètement opposé. 2011, une année cosmique pour le court-métrage ? Space Radio a remporté de loin le Prix Mubi 2011, remis au film le plus populaire sur la plate-forme.

1er : Make Up de Hyun Jeong-jae

C’est le dernier film de la sélection que j’ai découvert, après qu’il ait reçu le Prix du Jury 2011. J’avais quelques craintes, d’abord dues à sa durée, mais aussi parce que les films primés en festival ont souvent tendance à me décevoir. Et pourtant, dès les premiers plans du film, on sent qu’on est en face d’un objet qui sort du lot. La mise en scène est sublime : chaque plan, chaque cadre semble avoir été idéalement composé. C’est d’abord frappant et agréable d’un point de vue esthétique, mais on se rend compte petit à petit que cette mise en scène nous emmène quelque part, à travers un monde de plus en plus inquiétant, aux frontières de la folie. Le coup de génie du réalisateur, c’est son sens du détail, son utilisation répétitive des objets (le ventilateur), des reflets et surtout de cette musique de téléphone qui vient rythmer la perte de repères progressive de son héroïne. On pense à Lynch, on pense aussi beaucoup à Aronofsky : en somme, Make Up est une sorte de petit Black Swan, moins démonstratif mais tout aussi troublant. Au final, le film captive, passionne et envoûte encore longtemps après sa vision. Chapeau bas.

A noter que ces trois derniers films sont tous issus de la KNUA, ce qui dénote du niveau extrêmement élevé des productions de l’école cette année. Quand on pense également que deux des films les plus intéressants de la sélection long-métrage (Bleak Night, End of Animal) ont été produits par une autre école, la KAFA, on se dit que le cinéma coréen nous réserve encore de belles promesses pour l’avenir !

Interview – Min Yong-keun (Re-encounter, 2010)

Rencontre avec Min Yong-keun, le jeune réalisateur coréen du film Re-encounter, qui sera diffusé cette semaine lors de la 6ème édition du Festival Franco-Coréen du Film.

Pouvez-vous nous éclairer sur votre parcours jusqu’à la réalisation de votre premier long-métrage ?

J’ai suivi des études de cinéma à l’université Hanyang. J’ai réalisé plusieurs courts. Après avoir fini mes études, j’ai choisi de rejoindre une équipe de production de films documentaires plutôt que de fictions. Pour moi la relation entre le documentaire et la fiction est celle de deux miroirs qui se reflètent l’un et l’autre. Je voulais également me forger de l’expérience, c’est pour cela que j’ai changé un peu de chemin. J’ai donc réalisé des documentaires pendant 4 ans pour l’émission « Reportage de  terrain : la 3ème zone » de la chaîne KBS. Pendant 2 ans, j’étais assistant réalisateur et pendant les 2 dernière années, j’étais réalisateur. En 2005, j’ai arrêté ce travail et j’ai commencé à préparer des films tout en travaillant en tant que producteur d’émissions de télé sur le cinéma pour une chaîne câblée.

En 2006, avec le soutien du KOFIC (Korean Film Council) et de Kodak, j’ai réalisé un court-métrage, The little Thief. En 2009, j’ai réalisé un segment du film omnibus One night stand (le titre de la version court-métrage est A fever), qui a été choisi comme film d’ouverture par le Festival de Film Indépendant de Séoul. En 2010, j’ai réalisé mon premier long-métrage Re-encounter. A présent, je suis producteur d’une émission télévisée sur le cinéma et je prépare mon prochain film.

Etait-il difficile de trouver les financements pour le film ?

En fait, il est difficile de trouver des financements pour tous les films. C’était aussi le cas pour Re-encounter. J’ai terminé le scénario en 2008 et j’ai fait une demande d’investissement à plusieurs sociétés de production, mais ce n’était pas facile puisque le scénario ne comporte pas d’histoire commerciale. J’ai donc décidé de réaliser ce film avec moins d’argent. En 2009, j’ai obtenu un prix dans un programme organisé par la SFC (Seoul Film Commission) et le KOFIC pour le soutien à la production de films indépendants et j’ai eu 100 million de Won (environ 60 000€). Go Young-jae, qui a produit Old Partner (ndlr : documentaire indépendant carton surprise du box-office 2008-2009) et Lee Chung-ryeol, qui a réalisé ce film, m’ont aidé. Pendant la post-production, j’ai été sélectionné dans par l’ACF (Asian Cinema Fund) et leur programme de soutien à la post-production organisé par le BIFF (Busan International Film Festival). Tous les travaux comme le mixage, l’étalonnage et la création des masters ont été effectué grâce à ce soutien.

Finalement, Re-encounter a été réalisé de manière plus stable par rapport aux autres films indépendants grâce à tout ce système de soutien (KOFIC, SFC, BIFF) et aux sociétés de productions.

Le film a attiré plus de 10 000 spectateurs, ce qui est un bon score pour un film indépendant en Corée. Ce succès vous ouvre-t-il de nouvelles portes ?

Dans le cinéma indépendant coréen, le fait de réunir 10 000 spectateurs est quelque chose de méritant. Donc, si un film fait plus de 10 000 spectateurs, la presse s’intéresse au film ou bien il y a une fête pour le féliciter. Toutefois, ce chiffre n’est qu’un chiffre symbolique, et cela ne recouvre pas les frais de production. Un film d’art et essai étranger peut réunir 40 000 à 50 000 spectateurs alors qu’un film indépendant coréen seulement 10 000.

C’est dommage, mais tout de même après la sortie de Re-encounter, le réalisateur, les différents membres du staff et les acteurs ont attiré l’attention et ont reçu beaucoup de propositions.

Comment voyez-vous la suite de votre carrière à présent ? Seriez-vous intéressé pour réaliser un blockbuster si on vous le proposait, ou bien préféreriez-vous faire quelque chose de plus personnel ?

Mon rêve en tant que réalisateur, c’est de réaliser des films durablement jusqu’à ce que je devienne grand-père. Que ce soit un film commercial ou un film indépendant/art et essai, un documentaire ou un drame, ce n’est pas important. Je pense qu’il est important de réaliser des films en permanence si les conditions sont propices. A présent, je voudrais m’entraîner et gagner de l’expérience à travers divers films. C’est la raison pour laquelle je voudrais que mon prochain film soit réalisé dans d’autres conditions, avec une autre dimension et qu’il raconte une autre histoire.

Je crois que ces expériences diverses me donneront la force de réaliser des films. Dans un film de genre, on peut trouver une histoire personnelle et inversement. Je voudrais traverser les terrains du film commercial et du film d’art et essai, et je voudrais réaliser un film qui détruit cette frontière.

Dans Re-encounter, malgré la nature tragique de l’histoire, le film semble toujours « vivant ». Les personnages et l’atmosphère ne sont pas complètement écrasés par le drame. Etait-ce votre objectif ?

Quand je réalisais ce film, ma priorité était l’image de nos vraies vies. Dans nos vies, même dans une situation tragique, quelque chose de drôle peut se produire ou des gens peuvent montrer leur vraie nature. Je pensais qu’il n’était pas nécessaire de présenter les personnages pour développer l’histoire, et qu’en suivant  les actions et les sentiments des personnages, l’histoire se déroulerait naturellement.

J’ai une idée fondamentale : il ne faut pas subordonner les personnages au développement de l’histoire ou au sujet principal du film. J’ai voulu que les sentiments des personnages soient le centre du film, et non l’histoire elle-même. Dans le livre de Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, il y a une phrase : Que ce soit les sentiments qui amènent les événements. Non l’inverse. Je pense que cette phrase est très importante.

Le cadre semble composé avec attention pour capturer les émotions des personnages. Quelles ont été vos influences pour ce film ?

L’importance du gros plan est très grande dans Re-encounter. Lorsque le visage d’un personnage est peu expressif, il inspire plus de sentiments et dégage une atmosphère particulière. Quand j’ai réalisais des documentaires, j’ai souvent eu l’opportunité d’observer le visage des gens dans une situation réelle. Ces visages que j’ai vus se sont montrés touchants lorsqu’un petit changement d’expression a laissé apparaître ce qu’ils avaient caché auparavant.

J’ai souhaité que ce genre de visage expressif et de sentiments apparaissent avec délicatesse. Une nouvelle de Raymond Carver m’a beaucoup influencé en ce qui concerne la forme du film. Cette nouvelle est constituée de phrases courtes et simples et expriment des sentiments abondants et mystérieux qu’on ne peut pas exprimer en deux phrases. Je voulais que les scènes de gros plans simples s’accumulent et nous donnent des vibrations plus subtiles. Je pense que je suis beaucoup influencé par mes expériences de documentaires, la nouvelle de Carver et les films de Bresson.

J’ai trouvé les deux jeunes acteurs, Yoo Da-in et Yoo Yeon-seok, excellents. Comment les avez-vous découvert et comment avez-vous travaillé avec eux ?

Yoo Da-in avait joué dans des séries et des publicités, mais elle n’était pas connue en tant qu’actrice. Nous avons eu un entretien organisé par mon assistant et je me suis intéressé au caractère de cette actrice. Elle n’a pas montré facilement ses sentiments et elle n’a pas beaucoup parlé, mais je sentais que ses sentiments étaient sincères à chaque fois qu’elle parlait. Elle avait presque le même caractère que Hye-hwa. Et puis, son visage donnait une bonne impression en gros plan. Suivant les angles de la caméra, son visage laissait des empreintes différentes et comportait beaucoup d’émotions. C’est pourquoi j’ai décidé de la prendre comme héroïne.

Yoo Yeon-seok a joué le rôle de l’acteur Yoo Ji-tae jeune dans Old Boy. Je l’ai vu pendant l’audition et il avait presque la même apparence que le personnage de Han-soo. Mais surtout, il a très bien joué. J’ai beaucoup apprécié son regard anxieux et tremblant quand il a lu les dialogues.

Comme tous les deux débutaient, on a pu discuter pendant assez longtemps avant le tournage. Ils se sont entraînés avec des monologues de théâtre. Nous nous sommes également rendus sur le lieu du tournage et nous avons filmé et monté quelques scènes comme dans le story-board. Avec ce travail, nous avons beaucoup discuté avant de tourner le film. La durée du tournage n’étant pas longue, il nous fallait une préparation rigoureuse.

Pouvez-vous expliquer le titre coréen du film, Hye-hwa, dong ?

C’est la question la plus posée quand j’ai l’occasion de débattre du film avec le public. Le titre coréen est Hye-hwa, dong. Certes, il existe à Séoul le quartier de Hye-hwa (Hye-hwa-dong), mais ce film n’a rien à voir avec ce quartier. Si vous observez bien le titre, il y a une virgule entre Hye-hwa et dong. Hye-hwa est le prénom de l’héroïne, mais c’est la définition de « dong » qui est importante. Selon le caractère chinois qu’on utilise, on peut avoir plusieurs interprétations.

Au début de la rédaction du scénario, j’ai utilisé 童 (dong : enfant). Donc c’était Hye-hwa et l’enfant. Mais quand nous avons fait le monitoring, des gens m’ont donné leurs avis. Certains m’ont demandé si ce n’était pas 冬 (dong : l’hiver) puisque le film donne une impression hivernale. Et d’autres m’ont demandé si ce n’était pas 動 (dong : bouger) parce que le cœur de Hye-hwa « bouge » continuellement. J’ai pensé que toutes ces opinions étaient importantes, donc je n’ai pas mis de caractère chinois. Le sens de Hye-hwa et l’enfant est bien, tout comme L’histoire hivernale de Hye-hwa ou encore Le cœur qui bouge de Hye-hwa. Pour laisser des interprétations multiples, j’ai choisi Hye-hwa, dong sans caractère chinois. Après la sortie, des spectateurs m’ont donné d’autres définitions de ce « dong ». Hormis les trois exemples, il y a aussi 憧 (manquer) et 疼 (souffrant), etc.

Il y a donc plusieurs interprétations possibles pour le titre Hye-hwa, dong.


Un grand merci à Min Yong-keun d’avoir répondu à nos questions et à Kim Hyewon pour la traduction. Plus d’informations sur les séances du film sont disponibles sur le site officiel du Festival Franco-Coréen du Film.

Sunny – Kang Hyeong-cheol (2011)

Dénuée de star au casting, la comédie Sunny a pourtant constitué un énorme succès au box-office coréen, dépassant les 7 millions de spectateurs et attirant un public aussi bien constitué de jeunes que de ménagères. Les Parisiens pourront découvrir ce film dans deux semaines puisqu’il fera l’ouverture du Festival Franco-Coréen du Film 2011. Petit aperçu de ce qui vous attend.

Déjà auteur d’un gros succès (surprise) pour son premier film Scandal Makers, Kang Hyeong-cheol semble déjà maîtriser toutes les ficelles de la comédie populaire. Deux ingrédients majeurs : un sens du rythme à toute épreuve et une histoire à même de parler à toutes les générations. Dans son film précédent, il mettait en scène un trentenaire voyant débarquer chez lui sa fille, elle-même mère d’un petit garçon. Ici, il multiplie à nouveau les points de vue en superposant les mêmes personnages à deux époques de leur vie. Lorsqu’elle découvre que l’une de ses amies d’enfance est en train de mourir, Nami part à la recherche des autres filles de leur groupe. En parallèle, nous suivons Nami lors de son arrivée au lycée…

D’un côté, le film évoque la jeunesse et toute son insouciance, les amitiés lycéennes et les premières amours. De l’autre, la nostalgie et les espoirs déçus. Vu comme ça, la partie contemporaine pourrait sembler indigeste pour un public de moins de 40 ans mais il n’en est rien, d’une part puisque les épisodes comiques y sont également très présents, d’autre part parce que ce fil conducteur constitue le suspense principal du film (va-t-elle toutes les retrouver et que sont-elles devenues ?). Le choix des actrices est particulièrement bien effectué et leur jeu cohérent puisque l’on reconnait aisément le même personnage aux deux époques de sa vie.

Mais il est vrai que la partie se déroulant dans les années 80 est la plus savoureuse. Cela tient à plusieurs choses. D’abord, la vitalité qui s’en dégage : la gouaille et l’énergie de ces sept filles s’avère vite communicative. La première scène de classe donne le ton : la caméra se retrouve propulsée dans un bordel ambiant qu’elle parcourt de manière assez fascinante. L’esthétique des années 80 est soigneusement reconstitué et nous offre une véritable symphonie de couleurs et de looks improbables. Les « gangs » de lycéennes sont impitoyables et les conflits se règlent en matchs d’insultes assez savoureux. Souvent outrancier et exagéré, le film ne verse toutefois pas trop dans l’hystérie. Kang Hyeong-cheol ne recule devant rien : si le résultat est parfois raté (les quarantenaires qui ressortent leur uniforme pour aller rosser de la lycéenne, ridicule), il peut devenir totalement jubilatoire à force de grand n’importe quoi, comme lors de cette scène où un combat de lycéennes se retrouve mêlé à une violente répression d’émeutes étudiantes par le régime autoritaire !

La réalisation est ce qu’on pourrait qualifier de « punchy », toujours en mouvement et gratifiée de quelques travellings sympathiques. Kang Hyeong-cheol évite certains écueils insupportables des comédies coréennes d’aujourd’hui, notamment l’ajout intempestif d’effets visuels ou sonores (toujours juste s’autorise-t-il discret un rougissement des joues de l’héroïne), un bon point donc. On pourra regretter que le final verse dans la mièvrerie la plus profonde (défaut déjà présent dans son film précédent), mais une ultime pirouette chantée et dansée permet de clore le film sur une note joyeuse et une énergie communicative.

Le « ghost shot » :

Visiblement, Kang Hyeong-cheol a été marqué par La Boum étant jeune. Non content de rendre hommage au film français en reprenant quasi à l’identique l’une de ses scènes célèbres (à l’image comme au son), il reprend ce thème à plusieurs reprises, à la limite de l’obsession. Sa venue au FFCF sera l’occasion de lui demander à quel point ce film l’a traumatisé !

Arirang – Kim Ki-duk (2011)

Alors qu’il nous avait habitué à un rythme effréné de plus d’un film par an depuis l’an 2000, Kim Ki-duk était mystérieusement resté muet depuis l’échec relatif (échec public comme souvent, mais aussi une critique plus sévère que d’habitude, à raison) de son dernier film, Dream. C’est à la surprise générale, puisque personne n’avait entendu parler de ce film, qu’il est revenu sur le devant de la scène lors du dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Alors que vaut cet Arirang ? Tout d’abord, il faut préciser que ce film ne ressemble en rien à ses films précédents, il ne ressemble d’ailleurs à aucun autre film tout court.

Le film débute de manière intrigante. Sur un faux rythme, on y découvre Kim Ki-duk vivre en solitaire dans une petite cabane perdue dans la montagne. Kim Ki-duk boit du café, Kim Ki-duk ramasse du bois, Kim Ki-duk se promène, Kim Ki-duk mange… Ce petit manège devient assez rapidement répétitif et l’on sent comme une appréhension du réalisateur à se lancer, comme s’il cherchait à prendre ses marques. Enfin, il finit par s’installer le visage devant la caméra et à s’exprimer. Il nous met d’abord en garde : il va réaliser un film tout seul. Ce film, il ne sait pas comment il va tourner : il sera peut-être documentaire mais peut-être aussi fantastique.

Il s’exprime alors longuement sur plusieurs choses. La principale est son incapacité à réaliser des films à nouveau, incapacité visiblement née d’un double traumatisme : d’une part un accident lors d’une scène de pendaison qui a failli coûter la vie à son actrice pendant le tournage de Dream, mais également la traîtrise de la part de l’un de ses anciens assistants parti signer avec un major sans lui un projet qu’ils avaient développé ensemble. Il évoque également l’importance des festivals dans sa carrière, et une certaine hypocrisie du régime coréen envers lui (ses récompenses sont utilisées pour mettre en valeur un pays qu’il égratigne tout au long de ses films). Il traverse plusieurs états au fur et à mesure de ce long monologue, pleurant parfois à chaudes larmes, se mettant carrément en colère (notamment lors d’une diatribe assez hallucinante contre les acteurs préférant jouer les rôles de méchants) et chantant aussi, beaucoup, comme si sa vie en dépendait. Le spectateur se retrouve donc catapulté dans cette sorte de séance d’auto-analyse effectuée par un Kim Ki-duk exposé, sans aucune pudeur.

Là où le film revêt une dimension supplémentaire, c’est dans les scènes qui entrecoupent ce monologue et où l’on voit Kim Ki-duk dans un rôle de réalisateur/monteur en train de manipuler ces mêmes images (on le voit par exemple devant son écran, en train de rire en revoyant la scène où il est en train de pleurer chaudement face caméra). Manipulateur ? Sans doute, mais en tout cas fascinant. Une scène assez savoureuse voit Kim Ki-duk dialoguer avec sa propre ombre sur un ton très courtois (« Merci, Ombre de Kim Ki-duk, de m’avoir posé cette question. »). Dans une autre que j’ai trouvé proprement ahurissante, Kim Ki-duk revisionne la scène de son film Printemps, été, automne, hiver… et printemps dans laquelle il interprétait lui-même un moine en train de gravir difficilement une montagne, une pierre attachée au corps. Il se met à pleurer, de plus en plus fort au fur et à mesure que la musique s’amplifie et que la scène défile en entier. Cette sorte de déchéance totale de l’artiste confronté à sa propre création provoque quelque chose d’assez incroyable et perturbant.

Le « ghost shot » : (attention, SPOILER inclus)

Le point culminant du film est atteint dans sa dernière partie puisque Kim Ki-duk y décide de construire une arme (il est visiblement très doué pour le bricolage, en témoigne sa machine à café maison). Est-ce pour liquider ses ennemis (qu’on ne voit pas à l’écran), ou plutôt liquider ses propres films (il se rend dans des lieux rappelant ceux de ses films pour « tirer »), sa propre oeuvre cinématographique, afin de pouvoir réaliser à nouveau ? Cette tendance se confirme à la fin lorsque le réalisateur finit par mettre à scène sa propre mort, en pointant le revolver face à la caméra comme pour tuer ce regard de cinéaste. L’espace d’un instant, la démence de ce film m’a fait imaginer le happening ultime : Kim Ki-duk (présent dans la salle) saisissant son revolver et s’exécutant en public en même temps que dans son film. Il n’en sera bien évidemment rien, mais à travers cette mort il semble que son envie de cinéma soit à nouveau plus présente que jamais.

The Murderer – Na Hong-jin (2011)

Cela est peu dire que nous attendions de pied ferme et avec envie le second long-métrage de Na Hong-jin, dont le premier film, The Chaser était un petit bijou noir, taillé au cordeau, qui clouait le spectateur à sa chaise par son rythme effréné et son suspense permanent.

Présenté à Cannes dans la section « Un certain regard », The Murderer laissait entrevoir une œuvre semblable à la précédente, tout en étant plus longue et donc plus ambitieuse. Les premières images laissaient espérer un retour fracassant du génial réalisateur. A tort.

Ce nouvel opus, divisé en quatre chapitres conte l’histoire d’un Sino-Coréen répondant au nom de Gu-nam. Chauffeur de taxi, menant une vie misérable, il est depuis six mois sans nouvelles de sa femme partie en Corée du Sud. C’est alors que Myun, un mafieux local, propose à Gu-nam de l’aider à passer en Corée pour retrouver sa femme et même de rembourser ses dettes de jeu. En échange, ce dernier devra assassiner un inconnu.  Mais bien sûr, rien ne se passera comme prévu.

Le début du film est assez prometteur, car il joue allégrement des codes des films de genre, notamment policier et thriller. On notera par ailleurs, une mise en scène très réussie des séquences de mah-jong.  Très vite le postulat de départ est posé, mais, alors qu’il devrait être entraîné dans une spirale effrénée, le récit joue aux montagnes russes et alterne assez maladroitement séquences d’action relativement spectaculaire et séquences plus « narratives » mais malheureusement répétitives et parfois sans grand intérêt.

Très vite, le film prend des allures de blockbuster estival, comme si le réalisateur cherchait à utiliser tous les clichés et les idées reçues qu’ont les occidentaux sur le cinéma coréen, pour garantir une belle carrière internationale à son film (ce qui a visiblement fonctionné).
Mais le film souffre d’une durée trop longue qui provoque un essoufflement rapide du récit, que Na Hong-jin tente de combler en surenchérissant dans l’action, la caméra convulsant, même quand il ne se passe rien d’exaltant à l’écran. Les scènes d’action sont confuses, voire parfois illisibles à cause d’aberrations de format d’image et d’étalonnage, doublées d’un montage épileptique.

De même, le récit s’attarde sur des choses inutiles, multiplie les intrigues secondaires qui viennent boursoufler le récit principal plutôt que de le booster  (exemple : la mystérieuse disparition de la femme du personnage principal). Cela n’empêche donc pas l’installation d’un vague ennui, qui peu à peu, persiste.

On plonge alors dans l’improbable : le héros échappe en courant à de nombreuses voitures de police, les gangsters se battent tous au couteau et à la hache, voir avec des os… mais aucun ne porte une arme à feu (!)…. Tout cela pour mener à un dénouement bancal et téléphoné doublé d’un bain de sang complètement vain, sensé réjouir les amateurs du genre, mais qui leur laissera plutôt un goût amer de déjà-vu dans la bouche.

La fin, sombre et implacable doublé d’un brin d’ironie aurait pu nous laisser sur une note positive mais elle est néanmoins gâchée par une séquence qui apparaît au cours du générique de fin et qui transforme ce moment radical en un happy end bricolé, forcé et artificiel.  Un beau gâchis.

Le « ghost shot » :

Ce plan m’a particulièrement marqué pour son esthétique et notamment la composition du cadre. Le jeu avec la profondeur et les perspectives est très intéressant. Il est assez « cliché » quand on y pense, mais c’est aussi ce qui fait son charme. De plus, il est particulièrement représentatif du film : un jeu de massacre qui va de plus en plus loin jusqu’à l’excès.