Carré blanc – Jean-Baptiste Leonetti (2011)

Film français d’une audace rare (ce qui lui a valu une sortie punitive et confidentielle dans 12 salles françaises dont 3 parisiennes), Carré Blanc raconte l’itinéraire de deux orphelins qui évoluent dans un monde futuriste déshumanisé et déshumanisant.

C’est un récit complexe et mystérieux, rempli de symboles. On ne peut s’empêcher de penser aux classiques d’anticipation américains que sont THX 1138 et Soleil Vert mais Carré blanc ne plie pas sous le poids de ces références et Jean-Baptiste Leonetti parvient même à s’en dégager en tenant sa ligne directrice et en créant son propre style, magistral.

Carré blanc est en effet un profond choc esthétique, servi par une direction de la photographie orientée sur le travail du clair-obscur, qui met en lumière, et surtout en ombres, certaines zones du cadre, rappelant par-là même que ce qui est caché, est tout aussi important ou plus encore, que ce qui se voit.

Le travail effectué sur le montage, notamment sur la figure de la répétition et sur les nombreux angles de vues, dynamisent le récit mais donnent aussi l’impression d’un point de vue omniscient, d’une constante surveillance des personnages sous tous les angles.

La mise en scène est parfaitement maîtrisée et fait une utilisation habile du hors champ et de la suggestion, renforcée par un travail de précision sur le cadre,  notamment dans les accès de violence crue qui surgissent de manière imprévisible au long du récit.

La présence d’une société déshumanisée, aux règles strictes est constamment évoquée sans jamais avoir recours aux effets spéciaux. Cela est dû à un excellent travail sur le son. L’univers du film existe avant tout hors champ, et le son est sa principale traduction « In ».  Il élargit notre perspective et notre compréhension du monde qui entoure les personnages.

Sami Bouajila et Julie Gayet sont magistraux dans leur composition de personnages déshumanisés, comme vidés de leur énergie vitale. Zombies modernes dans un monde fait de béton et de verre. Ici même le sentiment de la chair semble avoir disparu.  Elle est glacée.  Même dans la mort, les cadavres étant évacués dans des sacs hermétiques et congelés, comme si leur dimension organique, ce tas de chair inerte disponible, ne pouvait exister.

Malgré toutes ces qualités le film laisse un sentiment d’inabouti, comme si le réalisateur, embarrassé par l’ampleur de son propos, décidait d’y mettre fin brutalement de peur de se faire dépasser.  Je pense qu’il n’en est en fait rien, mais un vague sentiment d’inachevé persiste néanmoins à la fin de la séance. Il ne manquait pourtant pas grand chose à ce Carré blanc pour être un véritable chef-d’œuvre.

On insistera tout de même sur l’exploit que représente déjà la sortie de ce film français audacieux, véritable hymne à l’amour et à la vie cachée sous ses airs épurés et glaciaux. Ne vous y trompez pas, Carré blanc est, sans aucun doute, la révélation d’un cinéaste majeur.  Un véritable acte de résistance. Un film qui vous hante.

« Le ghost shot » :

J’ai choisi ce plan car il représente une des nombreuses épreuves absurdes (et pourtant au final, logiques !) que fait passer le personnage de Philippe à ses « patients ». Il se dégage de ce plan, comme des séquences en question, une étrangeté et un puissant sentiment d’inconfort.

Revenons plus précisément à ce plan. Une tension globale y est déjà disséminée par des jeux de contraires : l’ombre opposée à la personne physique, l’ombre  la lumière, le noir au blanc, le champ au hors champ. Cela confère au plan sa dynamique et son aura de mystère, tout en le chargeant d’une grande puissance esthétique.