Les Harmonies Werckmeister – Béla Tarr (2000)

C’est souvent après un surplus de films déconcertants qu’une envie (folle) de tenter quelque chose de différent me prend. Il faut avoir du temps, il faut en avoir le courage, mais une fois de temps en temps, je trouve intéressant de découvrir un cinéma non codé, farfelu et différent. Après Matthew Barney et son Drawing restraint 9, les films bizarres de plus de 2h ne me font plus peur. Et cette fois mon choix s’est porté du côté de l’Europe de l’est.

Béla Tarr, réalisateur hongrois, a présenté à Cannes cette année Le Cheval de Turin. Mais aujourd’hui c’est de l’un de ses précédents films dont nous allons discuter. Parmi les longs (voire très longs) métrages de Béla Tarr, j’ai choisi Les Harmonies Werckmeister.

Considéré comme “le meilleur cinéaste hongrois”, Béla Tarr possède une vision très singulière du cinéma. Que ce soit dans sa manière de filmer ou de narrer son histoire, Béla Tarr perturbe et divise la critique et les spectateurs.

Les Harmonies Werckmeister prend place dans une Hongrie froide, perdue et austère. C’est dans un petit village qu’a décidé de s’installer cet étrange cirque. On peut y rencontrer Le Prince ou observer la carcasse d’une baleine. Ces deux énergumènes ne sont malheureusement pas venus seuls et ont charrié dans leur sillage des gens de tout le pays. La tranquillité de la petite bourgade est ainsi chamboulée…

Béla Tarr nous transporte dans un univers on ne peut plus particulier et bizarre. Mais je vais mettre en second plan l’histoire décousue, déjantée et incompréhensible du film pour vous parler plus particulièrement de la technique et de la vision si particulière qu’a Béla Tarr du cinéma.

Là où la plupart des films en contiennent plusieurs centaines voire milliers, les longs métrages de Béla Tarr, ne sont eux composés que d’un nombre très limité de plans-séquences. Dans Les Harmonies Werckmeister, le réalisateur n’offrira aux spectateurs que 39 plans-séquences pour une durée totale de 145 minutes. Du fait de leur longueur, la mise en scène se doit d’être minutieusement calculée : le réalisateur mène sa caméra et ses acteurs de manière synchrone afin de composer et obtenir les plans qu’il souhaite. On suit le flot et on se noie dans ses prises. L’exercice est particulièrement impressionnant pour les scènes où le protagoniste traverse des foules et interagit avec plusieurs personnages. Mais on obtient malheureusement certaines prises dont la longueur excessive ennuie à mourir le spectateur (il ne faut donc pas regarder ce film en étant fatigué). Les plus redoutablement agaçantes sont les séquences où les personnages se déplacent à pied. On peut alors se demander pourquoi le réalisateur nous fait subir tout cela ?

“The people of this generation know information-cut, information-cut, information-cut. They can follow the logic of it, the logic of the story, but they don’t follow the logic of life. Because I see the story as only just a dimension of life, because we have a lot of other things. We have time, we have landscapes, we have meta-communications, all of which are not verbal information.” (vous retrouverez l’interview ici)

Mais tout ne peut se justifier par la vision philosophique d’un réalisateur. Le résultat obtenu est singulier, intéressant, impressionnant mais globalement trop long et trop peu accessible. Et aux dires des critiques sur ses autres films, j’ai l’impression que monsieur Béla Tarr stagne dans le genre.

Je ne peux pas dire avoir été particulièrement dérangé par la lenteur du film mais plutôt par la quasi-absence de musique pendant ces scènes dites lentes. La photographie et les sons ambiants, malgré leur qualité indéniable, ne suffisent pas à embarquer les spectateurs pendant 145 minutes.

Finalement je reste assez mitigé sur ce film. Le ratio impressionnant/ennuyeux est globalement trop faible pour pouvoir dire que j’ai aimé Les Harmonies Werckmeister. Mais j’ai été toutefois subjugué par la maîtrise du réalisateur sur plusieurs des plans-séquences qui composent le film. Que ce soit au niveau du choix des angles de vues, de la composition de l’image ou du plan-séquence dans son intégrité, ou bien de l’audace de certaines scènes, et de la puissance qui s’en dégage, Béla Tarr reste maître dans son domaine. Et rien que pour ça, après un surplus de films déconcertants, peut-être que me reprendra l’envie folle de tenter à nouveau du Béla Tarr.

Le “ghost shot” :

Dans la plupart des plans-séquences, apparaît un plan fixe, une photographie. Le réalisateur dirige chacun des personnages, compose son plan, puis fixe sa camera et fige ses acteurs. Ces tableaux représentent généralement un moment-clé, décisif du film.
Je n’ai pas choisi au hasard les shots de cet article : ces quatre photographies en sont les exemples les plus marquants. Le plus intéressant n’étant pas seulement la composition de la photographie mais la dynamique qui en découle : la manière d’y arriver, les quelques secondes ou minutes où le temps stagne, puis enfin la reprise. Le réalisateur ponctuera ainsi nombreux de ses plans-séquences.
J’ai choisi ce ghost shot pour sa composition mais aussi pour son importance dans le film. Il s’agit ici de la seule apparition du Prince, le personnage le plus énigmatique du film. On n’apercevra d’ailleurs que sa silhouette.